Bipolaire type II – Entre l’eau et le feu

dimanche 28 janvier 2018

À Noël, j’ai reçu un des plus grands cadeaux de ma vie. J’ai reçu un diagnostic de bipolarité type II. Attention, ce n’est pas la maladie qui est un cadeau. C’est de savoir que cette chose si complexe qui vit en moi, cette chose qui me fait voyager brutalement d’un bout à l’autre de moi-même, qui entraîne constamment mon esprit d’un extrême à l’autre du spectre des émotions, et bien, que cette chose-là, elle a un nom.

En connaissant désormais le spécimen exact de la bête qui cohabite dans mon esprit, je peux désormais me pencher avec précision sur ses origines, ses caractéristiques, les évènements de vie et les facteurs de stress qui peuvent déclencher ses allées et venues.

L’impact de recevoir un tel diagnostic et de s’attarder à le comprendre peut s’avérer déterminant dans la direction que prendra une vie.

En 2011, j’ai vécu ce que l’on appelle un épisode dépressif majeur. De là jusqu’à aujourd’hui, j’ai choisi d’en faire le plus possible pour éloigner le fantôme de la dépression. Recherche de l’équilibre, études, hygiène de vie, sport, yoga, thérapie, lectures, méditation, bref, tout y est passé. Et d’une certaine façon, ça m’a préservée.

Or, pendant ces six ans, je me suis attardée spécifiquement aux symptômes dépressifs. Je ne me suis pas penchée sur ces phases d’énergie puissante et inépuisable, de ce moteur à propulsion qui s’emparait de moi durant des périodes pouvant aller jusqu’à plusieurs semaines. Bien qu’elles soient fort mouvementées, je ne voyais pas en ces phases quelque chose d’assez flagrant pour que je crois souffrir des manies prononcées spécifiques à la bipolarité de type I.

Mais en octobre dernier, c’est devenu gros comme une montagne. Et perturbant. Ma vie était devenue une piste de course. Avec un élan intarissable de créativité, d’énergie physique et mentale, de nuits courtes, de travail prolifique, de joie démesurée et de surestimation de mes capacités et de mes limites. Un cerveau impossible à mettre sur pause. Plusieurs semaines. Puis, le crash. L’autre côté du miroir. Le sommeil perturbé, le retour de l’angoisse, la paralysie de l’anxiété, le lourd poids d’un nuage de tristesse au-dessus de ma tête, l’estime de soi qui diminue constamment, le cycle de pensées négatives qui recommence, les idées noircies… les premiers signes d’un possible épisode dépressif. Ce n’était pas la première fois que je vivais ce cycle. Je me trouvais à nouveau entre l’eau et le feu.

Puis, le 15 novembre, je reçois l’honneur d’être sélectionnée par le CAMH (Center for Addiction and Mental Health) comme l’une des 150 leaders du changement en matière de santé mentale. Je monte sur le podium pour prononcer mon discours de remerciement. Je parle du besoin de déstigmatisation de la maladie mentale. Je parle de ce que c’est que de vivre avec celle-ci.

Et à ce moment-là, je suis entièrement ce dont je parle. Trop. Parce que je ressens dans toutes les cellules de mon corps les images qui se cachent derrière les mots que je prononce. Parce que je me trouve moi-même, encore une fois, au point de bascule.

Après mon discours, je parle à un éminent psychiatre qui a lui aussi reçu ce prix. Je lui demande de me décrire les symptômes de la bipolarité et des possibles éléments déclencheurs de ses phases. Cela m’aiguille. Je me reconnais dans tout ce qu’il me dit. Je prends rendez-vous avec mon psychiatre. Au fur et à mesure que je lui raconte mes épisodes, des liens se créent entre de nombreuses périodes de ma vie. Les cycles, les phases, les hauts trop hauts et les bas trop bas. Tout est si clair. Bipolarité II. Moins connue que la bipolarité de type I. Et pourtant, qui peut s’avérer tout aussi cruelle…

En ayant un bon diagnostic, on peut chercher le bon traitement médical et la bonne thérapie. Nos proches peuvent être informés et savoir ce qu’il faut faire lorsque l’on a besoin d’aide.

Mais tout d’abord, pour être en mesure d’en parler, il faut que notre société se débarrasse une bonne fois pour toutes des préjugés qui, malgré une forte amélioration dans les dernières années, planent encore autour des mots « maladie mentale ».

Il faut éliminer de notre vocabulaire ces mythes et ces phrases toutes faites : « Oh my God, de quoi se plaint-il ? Il a tout pour être heureux. » « Ouache… il a fait ça ? Il est bipolaire ou quoi ? » « Ben là, il y en a qui vivent des affaires tellement plus difficiles pis qui tombent pas en dépression. »« Dans la vie, il y a les forts et il y a les faibles… » C’est n’importe quoi.

Vivre avec la maladie mentale, ça n’a rien à voir avec l’envie ou pas d’aimer la vie.

La santé mentale est un phénomène hyper complexe et par exemple, dans le cas de la bipolarité, naît de plusieurs sources comme la vulnérabilité génétique, les agents biologiques (fonctionnement anormal de circuits cérébraux impliquant des neurotransmetteurs comme la dopamine), les facteurs psychologiques (nos systèmes de valeurs, de croyances, nos attentes, la façon dont notre enfance et notre adolescence ont façonné nos schémas de pensées), les facteurs de stress et les évènements de vie.

Je suis une des privilégiées de ma condition. J’ai un réseau familial et d’amis et un amoureux qui me soutiennent. J’ai accès à un psychiatre, je peux suivre une thérapie au privé.

Mais qu’en est-il de tous ceux qui souffrent en silence et qui n’ont pas ma chance ?

Dans un monde idéal, l’accessibilité aux soins de santé mentale serait beaucoup plus facile. Il y aurait un processus et une marche à suivre claire et simple pour ceux qui ont besoin d’aide. Les gens se perdent dans les dédales du système. Qui voir ? Qui consulter ? Médecin de famille ? Psychiatre ? Psychanalyste ? Psychologue ? Psychothérapeute ? AA ? Les urgences ? Ligne d’écoute ? Centre de jour ? Livres de psychopop ? PNL ?

Il faut s’attaquer au problème en amont. Multiplier les ateliers sur la gestion des émotions dans les écoles primaires et secondaires, que l’on cesse de couper les fonds dans les services sociaux, que l’on écoute les cris du cœur lorsqu’ils cherchent à se faire entendre.

Car sans la peur, la honte, le sentiment de culpabilité et les préjugés, combien de vies auraient pu être sauvées ? Combien de suicides, de surdoses, d’actes criminels auraient pu être évités ? La santé mentale n’est pas uniquement une affaire personnelle. C’est une affaire de société.

C’est un long voyage que celui qui nous mène au bout de soi-même. Mais c’est aussi la meilleure façon, je crois, d’améliorer nos vies, nos relations, et éventuellement, notre monde.

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