ON N’EST JAMAIS SEULS

vendredi 26 février 2016

Le weekend dernier, ma fille a participé à un camp scout. Je l’ai donc déposée au point de rencontre prévu et après l’avoir regardée partir dans l’autobus jaune, heureuse avec ses copines, je suis rentrée chez moi. Au calme qui régnait au moment où j’ai mis la clef dans la serrure, j’ai su que je n’avais plus le choix. L’appartement était silencieux, il faisait froid dehors, mon jogging était fait, les courses étaient rangées dans le frigo, le lavage était plié, j’avais payé mes comptes, mes “dates” avec mes amis étaient planifiées pour la soirée et mon émission de radio était préparée… Je n’avais plus aucune excuse. Il fallait que je le fasse. Je me suis assise au piano.

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Mise en danger

Écrire et composer, c’est l’aspect de mon métier que je trouve le plus difficile, car il implique que je me mette entièrement nue, face à moi-même, d’une façon presque trop intime. Non seulement pour y parvenir je devrai faire taire en moi les mille et un jugements sévères que j’émettrai à mon égard par rapport à chaque nouvelle idée qui se pointera, mais je planterai également mon âme devant un miroir qui me reflètera ses coins les plus sombres, ceux que j’aimerais mieux taire à tout jamais. Je me mettrai en danger, car pour créer, je devrai traverser une vaste gamme d’émotions qu’il me faudra explorer, caresser, toucher, confronter et accepter, même si je préférerais de loin ignorer leur existence afin qu’elles ne viennent plus jamais perturber mon bon fonctionnement. Alors, pourquoi suis-je constamment rappelée vers la création? Pourquoi me mettre sans arrêt dans une telle position si je sais que j’enfante la plupart du temps dans la douleur ? Parce que je sais au fond de moi-même qu’en utilisant mes émotions, mes doutes, mes remises en questions afin de créer quelque chose, ces coins sombres, une fois révélés au grand jour, absorberont la lumière. Et que non seulement cela justifiera par le fait-même leur existence, mais que cela leur donnera une vraie raison d’être, celle d’être partagées.

Tous les mêmes

La musique, élément de la nature, harmonie qui existe dans les murmures du vent, dans les pulsions du corps, dans le rythme de la marche et dans les voix humaines depuis la nuit des temps, est souvent ce que l’on retient le plus d’un moment spécifique de nos vies, un peu comme la mémoire olfactive a la capacité de nous replonger dans nos souvenirs à la simple effluve d’un parfum que nous avons déjà connu. La musique sait aussi nous prendre par la main lorsque nous en avons besoin. En peine d’amour? Un petit “I Will Survive” et la voix de Gloria Gaynor nous redonne espoir… Un deuil? “Fragile” de Sting, ou bien “S’il suffisait d’aimer” pour adoucir la douleur. « Here Comes The Sun » nous rend le printemps encore plus merveilleux, et “Space Oddity”, quant à elle, nous rappelle que nous sommes tous poussières et que nous redeviendrons poussière… La musique me remémore sans cesse que malgré tout ce qui nous distingue les uns des autres, nous sommes tous faits du même bois. Que ce que je ressens à un moment ou à un autre de ma vie est quelque chose que quelqu’un d’autre quelque part a déjà ressenti, puisqu’il l’a écrit ou chanté. Et ça, ça me fait du bien. Pendant que notre société nous apprend à tout séparer (le bon du mauvais, le riche du pauvre, l’immigré «pure-laine», l’homme de la femme, le jeune du vieux, le rationnel de l’artiste, le Républicain du Démocrate), la musique aide à nous unifier. Chercher à classifier sans cesse et à diviser à outrance répond selon moi à un sentiment d’insécurité fondamentale inhérent à l’être humain. Une peur de l’inconnu face au mystère qu’est notre existence et dont personne ne détient la clef absolue. Une peur de l’impermanence des choses qui est pourtant la nature même de la vie. Et c’est en partie pour se défendre de ces peurs que l’on utilise les préjugés, les généralisations à outrance et les conclusions hâtives. Malheureusement, ces fausses vérités que nous nous imposons sans cesse finissent par nous séparer les uns des autres et par nous cacher l’accès à des sentiers dissimulés qui pourraient pourtant nous offrir une vue spectaculaire. Chaque fois que je m’assois au piano pour créer, je dois surmonter toutes mes insécurités et faire fi des doutes que j’entretiens à mon égard si je veux aboutir à quelque chose. Et quelque part, j’adore ça.

Ce qui n’existe pas encore

Donc, ce weekend-là, seule dans mon appartement, je suis redevenue la jeune femme de vingt ans qui ne vivait que pour composer de la musique et qui n’avait pas vraiment peur de ses émotions. Elles n’avaient pas encore causé trop de ravages. J’ai fermé les yeux et j’ai joué les premières notes de ce qui n’existait pas encore. Puis, une fois mon travail de la journée terminée, je me suis sentie en paix, comme après un workout pénible mais si satisfaisant. Le soir même, j’ai dîné avec une amie. Elle m’a parlé de sa nouvelle passion pour l’art culinaire: « J’adore être devant tous ces ingrédients, les manier et les apprêter selon mon humeur, selon ce que je ressens, et partager ce repas avec les autres, j’ai l’impression qu’ils comprennent ce que je vis, que l’on connecte, en mangeant ce que je leur prépare. » J’ai aimé entendre mon amie me parler de sa passion. Sa cuisine à elle, c’est comme ma musique à moi, c’est comme le tricot de ma sœur ou l’organisation de fêtes de ma belle-mère ou les dessins de mon enfant ou les livres qu’écrit mon amie ou les rénovations que mon amoureux a entreprises dans son studio ou la boutique que vient d’ouvrir ma cousine ou le site web que Julie a créé… La créativité, c’est creuser profondément en soi, malgré les émotions que cela provoque et les obstacles qui se pointent, pour y trouver quelque chose que l’on saura exprimer grâce aux outils qui nous sont propres et constater un jour que ce quelque chose a réussi à faire vibrer quelqu’un. La créativité sert à nous rappeler que peu importe ce que l’on vit, on n’est jamais seuls. Jamais.

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